Avant-propos : cet article a été réalisé dans le cadre du Challenge Data #6, une semaine de défi autour de la donnée, organisée par Datactivist pour les 4e années de Sciences Po St Germain en Laye en décembre 2023. Celui-ci a été réalisé en 5 jours (ce qui peut expliquer, dans certains cas, le manque de réponse de la part de certains acteurs mentionnés dans l’article). Pour en savoir plus sur la méthodologie mise à disposition des étudiants, vous pouvez y accéder via ce lien.
«Les Hommes naissent égaux, dès le lendemain ils ne le sont plus», déclarait autrefois le républicain Jules Renard dans son ouvrage Journal 1905-1910. Cette observation résonne particulièrement fort à Marseille, où la diversité culturelle coexiste avec des réalités sociales parfois marquées par la ségrégation. Les clichés sur cette ville ont bon train : pauvreté, inégalités sociales, délinquance, quartiers “chauds”… Son image est ternie par ces visions. Cependant, la réalité des données permettent d’établir que ces clichés possèdent des sources souvent établies. Dès l’enfance, par le jeu de la carte scolaire, les citoyens marseillais se retrouvent enfermés dans des quartiers reproduisant les inégalités sociales et influençant par la suite leurs chances de réussite. A l’occasion d’un Challenge Data, un groupe d’étudiants de Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye s’est décidé à dénouer le vrai du faux, la réalité des clichés, en analysant des données objectives. Ces dernières proviennent de sources officielles : le site Datagouv et l’INSEE et se concentrent d’une part sur les écoles et collèges, leurs localisations et l’Indice de Position Sociale (IPS) moyen de cet établissement, s’il s’agit d’un établissement public ou privé, ainsi que l’écart-type de l’IPS pour les collèges, et d’autre part sur la localisation des quartiers prioritaires de la ville méditerranéenne. En croisant ces jeux de données, les étudiants ont ainsi pu entamer une ébauche d’analyse de la ségrégation sociale à Marseille au sein des écoles et collèges.
Posons les fondements avant de démarrer. La carte scolaire désigne un système d'affectation des élèves dans une école, un collège ou un lycée public situé dans le secteur géographique où ces élèves sont domiciliés. Elle provient d’une politique entamée par Charles de Gaulle à partir de 1958 en remplissant la fonction de répartition des élèves au sein des établissements. C’est en 1963 que sont créés les secteurs géographiques déterminant un établissement d’affectation selon le domicile. Cependant, cette carte scolaire ne permet pas d’atteindre un objectif de mixité sociale et favorise au contraire l’entre-soi des élèves des quartiers riches et des quartiers plus modestes. En outre, l’existence des écoles et collèges privés permet à certains de déroger à la carte scolaire et donc à leur établissement d’affectation s’ils en ont les moyens.
Définissons ensuite l’IPS, l’axe central de notre analyse. Il permet d’appréhender le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales de leurs parents. Pour chaque catégorie professionnelle, la valeur numérique de l’IPS correspond à un résumé quantitatif d’un ensemble d’attributs socio-économiques et culturels liés à la réussite scolaire. Cela permet ensuite de définir le niveau social d’un établissement scolaire en calculant la moyenne des IPS des élèves scolarisés. En outre, l’indice d’hétérogénéité sociale d’un établissement correspond à l’écart-type de l’IPS de ses élèves. Plus il est élevé, plus le profil social des élèves est diversifié. Regarder son niveau et son écart suivant le type d’établissement (public ou privé), et sa localisation au sein de la ville permet de déterminer l’existence ou non d’une forme de ségrégation sociale.
Commençons l’analyse par une vision globale. Les données étudiées révèlent tout d’abord que la moyenne de tous les IPS des collèges et écoles de la ville de Marseille est de 100,4. L’indice de position sociale est un indice compris entre 38 et 179. Plus cet indice est élevé, plus le contexte familial de l’élève est favorable à sa réussite scolaire. L’IPS moyen en France étant de 103,4, les élèves marseillais sont dans la moyenne et ne semble pas avoir particulièrement moins de chances ou plus de chances de réussite que les autres. A l’inverse, la moyenne de l’écart-type des collèges à Marseille est de 26,87 alors que l’écart-type moyen en France est de 32,5. Les collèges marseillais sont donc clairement moins mixtes que la moyenne des collèges en France. La ségrégation sociale semble donc se confirmer de manière globale.
A Marseille, 76% des établissements sont des établissements publics et 24% des établissements privés. Cette grande proportion d'établissements publics s'explique par le fait que l'éducation est une compétence de l'Etat qui la délègue ensuite à des établissements privés qui respectent un socle de valeurs propre à la République. Si cette proportion forte d’établissements publics n'est pas exploitable de manière isolée, on remarque qu'en la croisant avec d'autres données, elle peut témoigner d'un problème majeur d'inégalités scolaires.
Légende : Un IPS bas se situe en dessous de 90, un IPS moyen entre 90 et 120 et un IPS haut se situe au dessus de 120.
Clef de lecture: En 2022-2023 à Marseille, 49% des établissements dans le secteur public ont un IPS bas.
En effet, la proportion des différentes catégories d'IPS selon le secteur privé ou public montre une très grande disparité scolaire. La part d'IPS haut représente 59% des établissements du secteur privé. Ce chiffre passe directement à 14% pour le secteur public. La proportion d'IPS bas étant de 49% pour le secteur public contre 5% pour le secteur privé, cela confirme les disparités socio-économiques entre les établissements scolaires. Un élu de la métropole Aix-Marseille nous témoigne de l'importance de l'enseignement privé qui a toujours été caractéristique de la cité phocéenne. Il parle d’une « stratégie d'évitement » qui peut être mise en place afin de contourner la carte scolaire et permet d'expliciter l'importance de l’écart d'IPS que les données ont révélé.
En regardant l’écart-type, on remarque une différence faible entre les collèges publics et privés. L’écart-type d’IPS moyen pour les collèges privés sous contrat est de 26,45 alors que l’écart-type d’IPS moyen pour les collèges publics est de 27,3. Ces deux IPS révèlent que la ville de Marseille est moins mixte socialement que la moyenne française bien qu’on ne dénote pas une différence de mixité entre le public et le privé. En effet, dans les établissements publics, se concentre un plus grand nombre d’élèves ayant moins de chances de réussite car l’IPS moyen est plus faible alors que dans les établissements privés, l’IPS moyen est souvent élevé. Les deux types d’établissements sont ainsi peu mixtes et révélateurs d’un entre-soi.
Pourcentage d’établissements ayant un IPS haut, moyen et bas dans les différents arrondissements de la ville de Marseille.
Le niveau d’IPS par arrondissement n’est pas homogène partout. Certains arrondissement présentent une majorité d’établissements ayant un IPS bas et très peu, voire aucun établissement ayant un IPS haut. C’est notamment le cas du 15ème, 14ème, 10ème et 2ème arrondissements. Le 3ème arrondissement est celui ayant les IPS les plus faibles en moyenne. A l’inverse, certains arrondissements présentent une majorité d’établissements avec des IPS moyen voire haut : c’est le cas notamment du 6ème, 7ème et 8ème arrondissement.
Ainsi, le lieu d’habitation joue un rôle clef dans les futures possibilités de réussite des élèves. L’arrondissement conditionne l’école ou le collège d’affectation et tous ne semblent pas permettre les mêmes possibilités de réussite. L’élu interrogé, doyen émérite de la Faculté de Droit d'Aix-Marseille, met en avant que de nombreux changements de carte scolaire à Marseille sont déjà intervenus depuis des dizaines d’années. Malgré cela, les données sont révélatrices de l'écart qui persiste entre certains arrondissements.